PRÉSENTATION DES LIVRES DE JEAN D’AMÉRIQUE, AVEC LES NOTES DES ÉDITEURS ET DE COURTS EXTRAITS

Rachida debout est non seulement un texte hautement poétique mais c’est aussi une réflexion sur la place du féminin, sur l’exil, sur les ravages du capitalisme dans les pays les plus pauvres. La poésie de Jean D’Amérique aborde ces sujets actuels et brûlants à travers une langue libérée de ses carcans trop théoriques. Une façon de trouver sa voix, offerte aux lecteurs de tous les âges. Une poésie de refus, d’insolence et de liberté. Rachida court, elle ne s’arrête pas. Elle se moque des injonctions. Rachida debout, toujours. Les images d’Evelyne Mary accompagnent le lecteur de la plus belle des manières lors de cette course de Rachida jusqu’à l’émancipation.
EXTRAIT
Sur la route, Rachida s’arrête,
parce que la faim la tenaille,
parce qu’un petit creux fait signe à son ventre.
Rachida s’arrête,
parce que toutes les assiettes vides
lui piquent l’estomac.
Rachida va avec les poches trouées
à la boulangerie du rêve de vivre.
Elle allume les promesses du printemps
et fait cuire le pain des soleils.
Et elle mange,
elle mange jusqu’à avoir le cœur chargé
de fl eurs nouvelles.

Sanite Bélair (1781-1802), sergente puis lieutenante de l’armée révolutionnaire haïtienne, a été capturée par les colons français puis fusillée à tout juste 21 ans, une année seulement avant la bataille finale qui mènera à l’Indépendance. Dans Opéra poussière, cette résistante injustement décide de revenir d’entre les morts pour nous hanter. Elle lance le mouvement #HéroïneEnColère sur les réseaux sociaux afin de réclamer sa place dans la grande Histoire, parmi les « pères » de la patrie. Le dramaturge, romancier et poète haïtien Jean D’Amérique alterne scènes lyriques et quotidiennes pour relier le monde de la poussière à celui d’aujourd’hui, tentant de réparer les oublis du passé. Il fait de Sanite Bélair un nouveau modèle de résistance contre toutes les oppressions et les dominations. Ce texte choral, puissant et poétique, mêlant mythologie vaudou et univers numérique, empli d’énergie et d’humour, est une formidable matière à jeu.
EXTRAIT
je suis la dernière génération
des cadavres en vacances
j’ai fini mon temps de silence
je révoque mon destin de poussière
la rue m’appelle à travailler la vie
à bout de sueur et de feu
la vie m’appelle à me réveiller du tombeau de l’oubli
pour réécrire mon odyssée
pour défoncer les portes de l’Histoire
Opéra poussière, éditions Théâtrales, 2022
Prix RFI Théâtre

Rhapsodie rouge dresse le portrait d’une femme debout, combattante, et nous rappelle de la plus belle des manières que la poésie a toute sa place dans le forum des voix citoyennes. Elle s’invite aux débats et aux révoltes, et redonne à ceux-ci l’outil premier, nécessaire et fondateur : une langue brûlante, renouvelée.
EXTRAIT
je suis le tiers-monde de moi-même
l’os sous-développé de ma propre côte
la grande puissance de mes propres fesses
à moins que
le vocabulaire du monde moderne
sente mauvais
Rhapsodie rouge, Collection Verte, Cheyne, 2021
Prix Fetkann! Maryse Condé de la poésie
Prix de poésie Heredia de l’Académie Française

« Tu seras seule dans la grande nuit. » Telle est la prophétie énoncée de longue date par Papa à la toute jeune fille qu’on appelle Tête Fêlée. Papa, qui n’est pas son vrai père, est aux ordres du pire bandit de la ville ; Fleur d’Orange, sa mère, n’a que son corps à vendre. Dans la misère d’un bidonville haïtien, Tête Fêlée observe les adultes – leur violence, leurs faiblesses, leurs addictions… et tente de donner corps à ses fantasmes d’évasion. Souvent seule entre ses quatre murs sales, elle recommence inlassablement une lettre à la camarade de classe dont elle est amoureuse, cherchant les mots qui ne trahiraient ni ses rêves ni sa vérité.
Une fable cruelle gonflée de poésie, de désir et de sang, où la naïveté d’une enfance impossible se cogne à la crudité sans pitié du monde.
EXTRAIT
Entre peur et précarité, le désespoir s’invite. Les gouvernements se succèdent, les armes continuent de chanter, il n’y a jamais de riz pour toutes les bouches, la vie ressemble de plus belle aux empires de détritus qui nous environnent, les survivants sont les mouches violentes qui parviennent à les survoler.
Ici, il y a le parfum humain qu’on aimerait tant partager et l’odeur de cafard qui asphyxie nos paroles. Chaos au passage du jour, aube coincée dans le chant acéré des nuits, barbelés crus apprivoisant le derme de nos espérances. Nous sommes des corps mêlés dans les ferrailles de la vie, des voix en mal de chanson douce, nous sommes ce quartier, un cul attendant
d’être torché.
Soleil à coudre, Actes Sud, 2021
Prix Dubreuil du premier roman de la SGDL
Prix Montluc Résistance et Liberté

D’une prison haïtienne, une voix s’élève. Elle scande, dans une seule longue phrase, les malheurs du pays : pauvreté, famine, catastrophes naturelles, pouvoir corrompu, église hypocrite.
C’est un cri. Un poème dramatique qui ne cherche pas l’esthétisation de la misère et de la violence politique car le poète les vit, du fond de son cachot de Port-au-Prince. Sa parole emprisonnée résonne d’autant plus qu’on l’a bafouée, empêchée, retenue. Éminemment théâtral par son oralité et son rythme, un poème partition pour un homme au souffle long, comme pour un choeur puissant.
Jean D’Amérique pousse ce cri en écho à d’autres confrères et consoeurs poètes emprisonnés d’hier et d’aujourd’hui : Federico García Lorca, Aslı Erdoğan, Nâzım Hikmet… et la force de son verbe rejoint la subversion de Jean Genet et l’allant d’Aimé Césaire. À lire à haute voix pour faire voler en éclats tous les murs dressés.
EXTRAIT
en vérité je le dis
il faut foutre ma souffrance dans une balance
pour connaître mon vrai nom
et ce n’est pas que moi c’est tout le monde
nous sommes des apôtres infaillibles de la grande nuit infatigables chorégraphes de la douleur
Cathédrale des cochons, éditions Théâtrales, 2020
Prix Jean-Jacques Lerrant des Journées de Lyon des auteurs de théâtre

Atelier du silence confirme la puissance et la créativité de l’écriture du jeune auteur haïtien. Dans ses poèmes, un homme élève la voix contre les institutions, contre les blocs et les frontières. Ses mots bousculent l’ordre, invoquent les peuples et les martyrs des tyrannies. Avec rigueur et sans idéalisme, Jean D’Amérique affirme une nouvelle fois le pouvoir de la poésie, laquelle prend sa force, nous dit-il, dans le silence : si j’avais la parole / je demanderais une minute de silence / pour ma liberté d’expression étouffée.
EXTRAIT
langue maternelle
mère embrasse la mort
que devient la langue maternelle
certains enfants
la cherchent toute une vie
à l’académie du lait amer
Atelier du silence, Cheyne, 2020
Prix Apollinaire Découverte
Prix Heather-Dohollau

Le jeune poète haïtien Jean D’Amérique met son corps en scène dans Nul chemin dans la peau que saignante étreinte. Ses poèmes le montrent errant, silhouette interrogative dans les rues de Port-au-Prince. Le poète devient le réceptacle des « espoirs charcutés », des « ailes déboussolées ». Dans cette poésie dense, tout un peuple apparaît chargé de son histoire et, ici, porté par une voix forte.
EXTRAIT
tous les pays blessés
ont une place sous ma peau
j’ouvre mes yeux
l’espoir est un café rouge
dans mes matins fêlés
je marche
mes pas dessinent mon néant
Nul chemin dans la peau que saignante étreinte, Cheyne, 2017
Prix de la Vocation

Petite fleur du ghetto a été publié une première fois en 2015, chez Atelier Jeudi Soir. Cette nouvelle publication intègre une traduction (français – créole haïtien) par Erickson Jeudy.
EXTRAIT
J’entends ces enfants
pleurer
en manque de lait
et je vois ces fissures
dans les mamelles
Le pain qui manque
c’est du ciment à couler
les brèches de la mort
Petite fleur du ghetto, Atelier Jeudi Soir, 2015 ; maelstrÖm, 2019
Mention spéciale Prix René Philoctète